Midi Minuit Poésie
“La poésie est un des rares espaces de liberté que nous avons”
Rim Battal
C’est avec les yeux et les oreilles grands ouverts que je suis entrée, avec deux amies, dans l’école des beaux-arts de Nantes vendredi dernier à l’occasion du festival « Midi Minuit Poésie », organisé par la Maison de la Poésie à Nantes. J’aime parfois laisser ma curiosité me guider sans trop réfléchir ; seuls le nom du festival et le thème abordé ce soir-là m’ont donné envie d’aller y jeter un œil. En effet, ayant étudié les langues et cultures pendant trois ans, le titre de la conférence m’a fait les beaux yeux ; « La poésie ou la bataille du langage ».
Il est certain que je ne m’attendais à rien, et pourtant j’ai quand même été surprise par cette soirée, (oui, oui, soirée et non nuit, car il s’agissait plutôt de Midi-Vingt-deux heures trente Poésie…).
C’est dans une salle chaude et sans fenêtre, au premier abord plutôt peu accueillante, que le festival prenait place ce soir-là. Il est vrai que je ne m’attendais pas vraiment à ce format ; j’espérais un bar, un endroit convivial, la possibilité d’être assis ou debout, et je me suis retrouvée en amphi, sans décoration, sans boisson, dans une ambiance de conférence. Et pourtant, la suite de la soirée allait beaucoup me plaire…
Trois artistes nous présentaient un bout de leurs travaux, chacun tour à tour prenait le micro. La première autrice, Nathalie Quintane, nous a dévoilé un amas de phrases qui m’a d’abord paru presque incompréhensible, et qui, à force d’écoute, et grâce au débat de fin de conférence, s’est avéré vraiment intéressant. Son travail consiste à juxtaposer des bouts de phrases empruntées aux politiques et aux textes de lois, le but étant de révéler la violence du sujet choisi. Dans ce monde de beaux parleurs, de fake news et d’information de masse, on s’y perd, mais Nathalie Quintaine nous montre que, finalement, tout est sous nos yeux. Dans les journaux, les textes ou les discours, tout est dit si l’on fait un peu attention et que l’on va chercher plus loin que le bout de notre nez. Même si je n’ai pas pu apprécier son discours à sa juste valeur, à cause de mon léger retard et de ma concentration, elle aussi en retard, son éloquence m’a impressionné et le but de son travail est, à mon avis, extrêmement intéressant et important, il est au cœur de l’actualité et de l’urgence de la violence actuelle.
Dur de passer après Nathalie Quintane…et pourtant, Rim Battal a su m’emporter également. Cette poétesse a une voix et une éloquence superbes, on adore forcément l’écouter parler. Parler de quoi, d’ailleurs ? Dans un discours adressé à elle-même, Rim Battal aborde son rapport avec le langage. Elle place des mots d’arabe (elle est par ailleurs originaire du Maroc), mais aussi des anglicismes, du langage inclusif et des mots de « jeunes ». En lien avec le titre de la conférence, elle nous raconte que, pour elle, la langue est comme un humain ; elle se bat. Rim Battal n’a pas vraiment l’air d’apprécier les anglicismes et les mots de « jeunes ». A contrario, elle défend le langage inclusif, et c’est avec un ton féministe qu’elle se demande d’ailleurs qui gère les corrections automatiques qui n’acceptent pas les mots comme « autrice ». Elle suggère aussi l’importance du choix des mots que l’on utilise. Pour elle, la poésie est une façon de défendre ses idées, de se battre.
Pour finir, ce n’est pas un poète mais un interprète qui nous a livré un discours emprunté à quelqu’un d’autre : Nicolas Sarkozy. Frédéric Danos ne crée peut-être pas comme les deux femmes précédentes, mais il suscite tout de même mon admiration car il fait là un travail remarquable. Il a réussi à redire mot pour mot, et quasiment sans lire sa feuille (contrairement aux deux autres, d’ailleurs) le discours de Nicolas Sarkozy à l’occasion de l’inauguration du palais de Tokyo. Redire, c’est justement ce qui importe ; grâce, encore une fois, à une éloquence déroutante, Frédéric Danos nous fait entendre ce discours différemment. On se pose des questions, on comprend des choses, on le voit autrement, tout simplement. Et c’est pendant le débat enflammé qui va suivre que l’on comprend que le réel but de cette prestation est de se demander si ce discours a été écrit par l’ex-président, si ce dernier pense ce qu’il dit, si tout n’est que mensonge ou, au contraire, sincérité.
Suite à ces prestations, un débat vraiment intéressant a donc eu lieu entre les trois artistes. Il y avait un animateur qui leur posait des questions pertinentes. Le débat tournait autour de leurs trois présentations. Il m’a permis de comprendre ce que je n’avais pas saisi, mais également de me replonger dans la réflexion et le questionnement, choses que j’avais peut-être un peu délaissé ces derniers mois dans ma vie personnelle. Lors du débat, il a surtout été question du rapport entre politique et langage, thèmes qui finalement liaient leurs trois propos. De nombreuses questions sont survenues : qui écrit les textes et discours politiques ? Les présidents et politiciens sont-ils des acteurs ? Existe-t-il un langage de la communication politique, dans laquelle on pioche depuis des années pour les discours de ceux au pouvoir ? Le débat s’est terminé par la question de l’activisme dans la société actuelle, de quelle place prendre pour défendre ce que l’on trouve important, comme a dit Rim Battal ; « on nous oblige à être dans la réaction, et non dans l’action ». La question du rôle du poète dans tout cela est aussi apparue, notamment avec une question adressée aux artistes par quelqu’un du public, assez défiante voire agressive ; « et vous, qu’est-ce que vous faites concrètement ? »
En conclusion, j’ai vraiment apprécié cette soirée Midi Minuit Poésie, je pense que le débat était mon moment préféré, et j’ai adoré écouter Rim Battal, Nathalie Quintane et Frédéric Danos. J’ai même envie d’aller fouiller dans leurs travaux. J’avoue que je pensais que la conférence serait sur les novlangues, ça n’a pas vraiment été le cas, mais j’ai quand même aimé être surprise, et je dirais même un peu chamboulée par tant de réflexion. Si je devais faire une critique plus négative, je dirais que le débat aurait pu être plus participatif, on a un peu oublié le public dans l’histoire, le ratio devait être d’un dixième de temps de parole pour le public contre neuf dixième pour les artistes.
Midi Minuit Poésie se décrit comme un festival qui « invite des auteur.e.s qui nous ouvrent à de nouvelles façons de penser les questions urgentes de l’écologie, des migrations et plus largement, éveillent nos consciences hors des sentiers battus. » Je pensais, j’avoue, que ce festival existait surtout pour répandre la poésie, la faire connaître, la rendre accessible (peut-être est-ce surement le cas, je ne sais pas car je n’ai pas pu me rendre aux autres évènements du festival.
De ce que j’ai vu et ressenti, je trouve cela dommage qu’il soit encore un peu trop élitiste, à mon goût. Bien que les poètes puissent parfois utiliser des mots soutenus, élaborés, des champs lexicaux spécifiques, la poésie, ce n’est pas que ça. Et même si ça l’était, il existe certainement d’autres façons de la mettre en lumière, de l’appréhender.
Moi-même ayant été en filière littéraire au lycée et étudiante en langues à la fac, il y a certaines choses que je trouvais compliqué à comprendre. Lorsque je me mets à la place de personnes moins littéraires ou qui n’ont pas un attrait spécifique pour l’actualité ou la poésie, je me dis que je n’aurais pas forcément envie d’aller mettre le nez dans une conférence où tout le monde est assis en silence en amphithéâtre et écoute des artistes faisant des blagues sur la politique et débattant sur des sujets spécifiques.
Je conseille tout de même d’aller jeter un œil aux travaux des artistes, d’aller à la prochaine édition de Midi Minuit Poésie pour voir d’autres propositions et d’aller voir ce que fait la Maison de la Poésie !
En tout cas, cela m’a fait réfléchir et j’ai fini par me poser une question, que je te pose également, à toi, lecteur : un poète doit-il proposer ou dénoncer ?
Par Mathilde Rabreau