(La Bande à) Laura – Gaëlle Bourges {La Soufflerie}
C’est porté par l’ambiance marché de Noël, décos lumineuses et doudoune/bonnet que je me suis rendue à la Soufflerie, à Rezé. Nous étions samedi 11 décembre
, en fin d’après-midi. Un samedi vers 16h, que se passe-t-il à Nantes, à votre avis ? Mais une manifestation bien sûr ! Après une vingtaine de minutes de course (vive la circulation nantaise) nous sommes finalement arrivés tout pile à l’heure !
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Qu’est-ce que je suis allée voir, e-n-f-a-i-t-e ?
(La Bande à) Laura, écrit et conçu par Gaëlle Bourges.
Danse / Théâtre.
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-petit mot pour la Soufflerie, votre salle est super cosy 😊-
Les rideaux s’ouvrent sur un carré blanc au coin de la scène. Ce sera le fil rouge de la pièce. Un fil conducteur intelligemment pensé, chorégraphié du début à la fin. Ce carré blanc, ce sont deux châssis vierges. Que le spectacle commence.
La voix de Gaëlle Bourges commence alors son récit telle une voix off d’audioguide. Mais pas celle d’un audioguide qui lit un livre d’Histoire-Géo. Plutôt celle d’une femme, une femme qui va vous raconter une histoire. Un audioguide engagé, avec un message. Et avant toute chose, une voix qui a pour volonté d’être simple, claire et bienveillante. Tout le monde peut comprendre, quelles que soient ces connaissances.
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Et ça parle de q-u-o-i-i-i ?
Cette pièce va nous raconter l’histoire d’un peintre qui a provoqué l’un des plus grands scandales de la peinture du 19e siècle : Edouard Manet et son Olympia, peinte en 1865.
Ce n’est pas n’importe quel peintre qu’a choisi là Gaëlle Bourges. Edouard Manet, c’est un révolutionnaire, il est à contre-courant. Pourquoi se contenter de l’académisme, pourquoi conserver les codes et les principes quand on peut faire autre chose ? Quand on peut tout bousculer. Créer du nouveau. Peintre célèbre et fondateur du mouvement impressionniste, mouvement qui bouleversera la peinture et les codes de représentation de l’époque, Manet divisera toute sa vie la critique. Il provoque, ose
, remet en question les règles établies et conventionnées. Un beau personnage pour raconter une histoire aux enfants. Car oui, cette pièce, à la différence de celles écrites auparavant par Gaëlle, se veut ouverte eux petits et grands, dès l’âge de 9 ans.
Ce sont 4 performeuses qui joueront sur scène dans cette pièce d’une heure. Je n’ai pas vu le temps passer, généralement c’est bon signe. Ce qui est d’ailleurs très paradoxal étant donné les choix scéniques de la pièce. Il n’y a aucun dialogue, le public ne connaîtra pas la voix des performeuses. Nous entendons seulement celle de la narratrice.
Et c’est dans le plus grand des silences que les 4 jeunes femmes se déplaceront, s’habilleront et s’installeront. Doucement, gracieusement et avec une lenteur contrôlée. Gaëlle Bourges étant danseuse de formation, elle porte une attention particulière au corps et à ses sensations.
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Je ne vais pas vous détailler toute la pièce, allez la voir de vous-même. Je vais cependant vous décrire l’incipit (comme disent les littéraires) car elle fait écho avec la scène de fin et c’est là tout le message de Gaëlle Bourges. Nous débutons notre histoire en compagnie de La Bande à Manet.
Ce que je n’ai pas précisé c’est que tout au long de la pièce sera reproduit des peintures de Manet. Les performeuses se déplacent, prennent chacune le rôle des personnages du tableau. On identifie les personnages à l’aide de la description de Gaëlle et d’accessoires très simples. Pour ceux qui ne connaissent pas le tableau, il ne sera jamais question de le montrer en photo mais de l’imaginer avec les éléments qu’on vous donne.
En silence, les actrices placent le décor, deviennent les personnages et posent pour nous. Pour toutes les reproductions chacune jouera tous les rôles sur le tableau, elles tourneront. Une belle manière de dire qu’elles sont égales.
Je n’ai pas pris le temps non plus de vous décrire les jeunes femmes qui incarnent ces personnages sur scène. Je n’aime pas les descriptions physiques mais il me semble important d’en faire une très brève. Deux ont la peau noire
, l’une est américaine, l’autre a les cheveux courts et est plutôt grande. Les deux (trois) autres femmes ont la peau blanche mais sont-elles aussi très différentes, l’une a les cheveux longs châtains et parait simple, l’autre à les cheveux roses et une partie de la tête rasée et la dernière est sourde et muette
. Elles ne sont pas que ça, évidemment, elles sont bien plus. On ne résume pas quelqu’un à un ou deux mots. Mais une chose est sure, elles sont toutes extrêmement différentes et de les avoir réunies sur une même scène c’est aussi la beauté de la pièce. Qu’est-ce qu’on s’en fou de ta couleur de peau, de ton origine, de ta taille, de ton poids ou de ta coupe de cheveux. Elles ont un peu commun : ce sont des femmes.
Pour revenir à Manet et sa bande, ma description fera plus sens désormais avec ces informations dans vos têtes, c’est le premier tableau qui sera reproduit. Manet, en train de peindre et sa team derrière lui : Cézanne, Renoir, Monet, Sisley et Bazille, une bande de copains qui a les mêmes idées et va un petit peu chambouler l’histoire de l’art. Et bien la dernière scène de la pièce sera cette même reproduction. De nouveau ces XX personnes devant quelqu’un en train de peindre, mais ce sera une femme cette fois-ci. C’est la bande à Laura. C’est la version 21ème siècle, celle de Gaëlle Bourges.
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Mais attend q-u-o-i c’est qui Laura ?
Il m’est impossible de ne pas revenir sur l’Olympia de Manet ou je vous aurais mal exprimer les intentions la créatrice. Vous avez peut-être déjà vu ce tableau. Une jeune femme à la peau blanche, nue, allongée sur un divan. Derrière elle, une autre jeune femme à la peau noire qui tend un bouquet de roses à la première.
Ce tableau a pour source un tableau bien plus ancien, celui de la Vénus d’Urbin peint par Thien en 1538. Mais Manet en a radicalement changé le propos, et c’est ça qui fait scandale.
Olympia, c’est le nom d’une déesse grecque. À l’époque la peinture est divisée en genres. Il y a ceux qui sont populaires : les scènes historiques et mythologiques et ceux qui ne le sont pas : le portrait, la nature morte, les scènes de genre. Manet décide de peindre sur un format réservé aux scènes mythologiques comme le nom du tableau le prétend : grand. Mais cette femme nue, n’est autre qu’une courtisane. Et ça, ça choque (ils sont un peu prudes à l’époque ouai). Et elle ose regarder le spectateur droit dans les yeux, comme si c’était tout était normal. Ce n’est pas une femme qui devrait être magnifiée. Et derrière, il y a cette autre femme à la peau noire, tout aussi travaillée. Manet les a mis à un pied d’égalité, il ne fait pas de différence entre elles deux. Et ça, ça ne plaît pas non plus. (Sympa la mentalité t’as vu)
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M-a-i-i-s qui sont ces femmes ?
C’est la simple question que va se poser Gaëlle Bourges.
La femme blanche, c’est Victorine Meurent. Et Victorine Meurent c’est qui ?
Et bien c’est une femme qui est l’amie de Manet et qui sera un modèle dans plusieurs de ces tableaux. Elle a aussi posé pour Degas et d’autres. Mais Victorine Meurent n’est pas seulement modèle. C’est une artiste. Elle est peintre, musicienne, actrice. Et elle était plutôt douée ! Elle était assez reconnue à l’époque et ces œuvres avaient même été exposées au salon de peinture et de sculpture à plusieurs reprises, là où Manet n’a jamais pu entrer. Et à une époque où les femmes artistes ont du mal à prendre leur place. D’autant plus qu’elle vivait avec une femme et ne s’en cachait pas. Une nana géniale non ? Et on en a entendu parler ? On connaît ces œuvres et son travail ? Non. Comme la grande majorité du travail féminin dans l’Histoire de l’Art. Cette problématique, même si elle a évolué parce que des dames ont osé taper dedans, reste d’actualité deux siècles plus tard. Et c’est une réalité bien triste. Les femmes sont exposées à moins de 10% dans les musées du monde, trop nice hein ?
Et l’autre femme ? La femme noire ? Qui est-elle ?
C’est par hasard lors d’une exposition parisienne que Gaëlle Bourges tombe sur cette information. Manet tenait des carnets. Et dans l’un de ces carnets est écrit que cette femme, c’est Laure. Elle habite au 11 rue de Vintimille, Paris, 4ème étage, gauche. Voilà qui elle est. C’est peu de choses mais elle a existé et Manet l’a peinte plusieurs fois. Et pourtant, personne ne s’est demandé qui elle était. Le chat sur le tableau a plus été commenté que la présence de cette femme.
J’ai entendu dans une interview que Gaëlle n’avait pas d’attrait particulier pour l’Histoire de l’Art à l’origine. Et l’une des premières choses qui l’a choquée quand elle s’est rendue dans les musées c’est : Pourquoi y a-t-il autant de femmes nues sur les tableaux ? Elles ne sont représentées presque que de cette manière. Et voilà, elle le tenait son sujet. Elle a fait revivre Manet et ses pensées qui n’allaient pas à son époque. Puis elle a redonné la voix à ces femmes qu’on a oubliées, ou qu’on n’a pas voulu considérer. La Bande à Laura c’est tout ça. C’est Laure, c’est Victorine qui représente Olympia. Laur-a. Et la Bande à Laura, ce sont aussi toutes ces femmes éclipsées de l’Histoire. Sans elles, l’Art n’aurait pas existé.
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Une toute dernière chose que j’ai trouvé remarquable. Après la pièce, j’ai pu assister à un bord plateau avec les performeuses. C’est là que nous nous sommes rendu compte que la moitié de la salle était sourde et muette. La pièce a été entièrement adaptée en langage des signes. Et ce n’était pas une dame sur le côté qui traduisait. On ne peut pas regarder une pièce quand on est obligé de yeuter la personne qui traduit sur le côté. Là, c’était un personnage. L’une des actrices est malentendante comme je l’ai dit auparavant. Et à ce qu’en ont dit les gens, c’est rare. Alors merci d’avoir pris cette initiative, je trouve ça formidable !
Par Romane Boutfol
Programmation de la Soufflerie pour l’année 2022: https://www.lasoufflerie.org/evenements/