21 octobre 2020

Instabilité (Chronique).

Vendredi 14 Octobre 2020. L’heure est à la gravité !

Nous avons rendez-vous au Grand T – sous un chapiteau – pour un spectacle de mât chinois, coréalisé avec l’Onyx, qui vient clôturer le festival « Les Avant Curieux ». Au même moment notre président prononce une allocution censée délivrer de nouveaux remèdes à l’épidémie que nous traversons.

Conscients de l’épée de Damoclès qui plane sur le spectacle vivant, nous prenons le risque de goûter à ce qui s’apparente de plus en plus à un privilège: s’affranchir, un instant, du marasme ambiant. Le risque ? Un comble, lorsque l’on pense à celui que l’artiste prendra bientôt pour nous.

Une légère fébrilité flotte dans l’air, accentuée par les panneaux « un covid nous sépare » remis lors du placement. Pour conjurer le sort, certains discutent entre voisins. D’autres, sur leur téléphone, suivent les feux de l’actualité. Ceux de la rampe se tamisent: place à l’ « État d’urgence circassien » !

Instable © Tomàs Amorim.

« Instable » de Nicolas Fraiseau, par la Cie « Les Hommes Penchés ».

Nous entourons un plateau nu, d’apparence délabrée, fait de vieux contreplaqués reposant sur des pneus. Pas besoin d’avoir un compas dans l’œil pour s’apercevoir que rien n’est d’équerre. Les coins des plaques sont saillants, quelques vis dépassent allégrement et l’on ne peut que s’interroger sur la solidité d’un tel dispositif.

La réponse est apportée par Nicolas Fraiseau qui monte sur les planches comme sur autant de trampolines. Des pneus supplémentaires, glissés sous la scène, tentent sommairement de la rigidifier. L’un d’eux devient prétexte à un premier exercice d’équilibre. Les « Hommes Penchés » ? Effectivement, il n’est pas si évident de se tenir debout sur un cercle.

La base du mât fait son apparition. Et c’est sur une tige d’acier totalement libre que l’artiste commence à évoluer. Pour la stabilité, on repassera ; mais pas pour la voltige. On comprend vite que la proposition artistique ne sera pas celle des prouesses athlétiques et des muscles bandés mais bien la recherche d’un équilibre précaire sur des « sables mouvants ».


Un spectacle sur la corde raide.

Pour qui a l’habitude de voir du cirque contemporain, le mât chinois implique de solides points d’ancrage et des cordes suffisamment tendues pour venir le plaquer au sol. Cela lui permet de résister aux assauts du « machiniste » – ainsi nommé – lui donnant ainsi la possibilité de figures ou de chutes maîtrisées, souvent incroyables.

Ici, le montage de ce mât – d’habitude invisible à nos yeux – est le canevas d’une formidable entreprise de déconstruction de la discipline. La simple tentative de fixer une seconde tige sur la première devient prouesse haletante. Escalader ce cylindre – que rien ne retient encore – pour y fixer en son extrémité des cordes, se transforme en véritable performance.

On espère secrètement. On retient le peu de souffle qu’il nous reste; l’accident n’a l’air jamais loin. Des clameurs traversent nos masques devant une tentative infructueuse ou une réussite éphémère. Le tube grince. Homme et acier chutent. On se surprend même à vouloir monter sur scène pour aider l’artiste, tant il nous semble faire corps avec lui.


Se tenir droit / Rester debout ?

Bien que le mât n’ait été « pleinement » fonctionnel que peu de temps, on se délecte des péripéties de Nicolas Fraiseau, mises en scène par Christophe Huysman. Le burlesque est la colonne vertébrale du spectacle. Le désordre s’y fait art et l’instabilité, inspiration puis matière de jeu.

A l’issue d’un final athlétique – où la scène s’en va à vau-l’eau, prenant l’image du Radeau de la Méduse – le circassien finit par se dresser, tel une vigie, en haut de son mât. Il nous offre là, involontairement, une allégorie bien actuelle de la pratique culturelle qui, de nouveau, ne tient qu’à un fil.

Restera-t-elle debout en cette seconde saison menacée par des brins de virus ? Un peu de stabilité… C’est tout ce que nous souhaitons !

Vignette vidéo © Erwin Chamard

MATHIEU

Vignettes vidéo du spectacle.

Pour en savoir plus sur « Instable ».

Interview de Nicolas Fraiseau.

Facebook de la compagnie.

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