30 novembre 2021

Martin Eden [LU]

Le 17 novembre, un soir nantais où les passants commencent à sortir les doudounes, les gants et les écharpes.

Tour LU [crédit photo easyvoyage.com]

C’est la première fois que je me rends au Lieu Unique pour rentrer dans la salle de spectacle et non pour aller au bar ou au salon de lecture. Je suis arrivée en avance et pourtant il y avait déjà une longue queue dans la célèbre et iconique Tour LU. Quelques dizaines de minutes plus tard, j’étais installée. Et en effet, il y avait du monde la salle était pleine.

Je n’avais pas d’attentes particulières ni d’a priori étant donné que je ne connaissais pas l’histoire d’origine. J’attendais simplement de me laisser porter par le jeu des acteurs.

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En bref Martin Eden, c’est qui ? Martin Eden, c’est à l’origine du commencement (j’aime les pléonasmes) un roman écrit par l’Américain Jack London en 1909, je cite « qui raconte l’ascension et les désillusions d’un jeune homme pauvre au sein de la bourgeoisie au début du siècle dernier ».

Le spectacle commence. Sur la scène, seul quelques meubles recouverts d’un drap blanc à droite font office de décor. Tout le long de la pièce, la scénographie bougera avec ces seuls objets : un piano à queue, une lampe et un micro. Minimaliste mais efficace. Un grand homme avec un long manteau se faufile lentement entre le mobilier. Puis c’est l’arrivée des autres comédiens dans un silence général. J’ai bien aimé cette entrée, c’est intriguant.

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Il était plutôt simple d’identifier les acteurs et leurs personnages car ils ont l’âge approximatif de leur rôle, pratique. Côté histoire, Martin est marin. Un jour, il se bat contre quelqu’un pour défendre un jeune homme qui était dans une mauvaise situation. Pour le remercier, le jeune homme en question l’invite à dîner chez lui. Martin, jeune homme peu fortuné habitué à la violence et à la précarité, se retrouve dans le salon de la famille Morse, une famille bourgeoise. Il tombe alors amoureux de Rose, la fille Morse, et décide de se plonger dans les livres pour s’instruire et la conquérir. Toute l’histoire tourne autour de cette relation.

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Martin apprend vite, très vite. Il se découvre une vocation : il veut écrire. « Je veux écrire des choses » cette phrase devient son obsession. Il a la sensation d’être fait pour ça, il veut transcrire ces sensations par écrit et souhaite réussir à les transmettre au lecteur.

« Lorsque l’on s’instruit, on comprend les choses. Comment elles fonctionnent, comment elles sont créées. On peut alors véritablement les apprécier. »

Martin Eden

Mais son talent n’est pas reconnu par les maisons d’édition qui ne cessent de lui réexpédier son travail. Même Rose n’y croit pas, elle pense que Martin n’est pas en capacités intellectuelles de devenir un écrivain. Une scène en particulier m’a beaucoup plu dans ce passage. L’acteur qui joue le rôle de Martin est volontairement brut et bourru dans ces propos. Rose le reprend sans cesse sur sa grammaire et corrige ses fautes de Français. Je pense que cette scène a fait écho à beaucoup. J’ai entendu des amies parler de leurs fautes de grammaire à la fin de la pièce en expliquant qu’elles avaient elles-mêmes la même situation que Martin dans ce passage, j’ai eu exactement la même réflexion.

Ce que je retiens de la pièce et du message de l’histoire, c’est une critique des classes sociales. On nous y fait comprendre dès le départ que si l’on n’est pas instruit, on n’a pas accès à la classe supérieure (bourgeoise, noble etc). On n’a pas accès aux mêmes métiers, beaucoup de portes sont par défaut fermées. Le monde est plein d’inégalités, on ne donne pas les mêmes droits ni les mêmes possibilités aux plus démunis.

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Puis les choses changent, Martin se découvre un don pour l’apprentissage et renverse la situation. Il devient un intellectuel (à ce moment précis du récit, l’acteur qui incarne Martin change ainsi que ces vêtements, j’ai trouvé que c’était une transition intelligente) et se rend compte que la bourgeoisie est surfaite et se base principalement sur les apparences et les préjugés. Les bourgeois ont accès aux savoirs et au confort mais ne sont pas intelligents car bercés depuis jeunes par les mêmes idées qu’ils considèrent comme acquises et ne cherchent pas à se faire leur propre avis. Ils n’ont aucun esprit critique. Martin dira qu’ils n’ont pas « d’âme » et sont conditionnés.

On nous y parle de politique également, un débat entre les idéologies républicaine, socialiste et individualiste éclate. Martin n’est pas en accord avec les Morse. Cette divergence de point de vue politique devient un point clé de l’histoire. Par un quiproquo un peu ridicule, on accuse Martin d’être le leader des socialistes. Rose le quitte pour cette raison. Elle le regrettera plus tard, se rendant compte que ce n’était que l’image et l’opinion de ses parents qui avaient impacté sa décision. Il sera trop tard malheureusement mais cela prouve que le discours de Martin concernant la bourgeoisie est cohérent.

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De même, personne ne croit en Martin pendant un bon bout de l’histoire. Ni ses parents, ni les commerçants de sa ville, ni Rose qui partage sa vie, étrangement cette fois-ci toute classes confondues. Mais il se battra pour faire ce qu’il souhaite car « j’ai confiance en moi et mon travail » répétera-t-il à plusieurs reprises. Et il réussira après beaucoup de refus et de difficultés. Tous ces textes seront soudainement publiés à un moment où Martin ne portera plus d’importance à son travail.

Un personnage important nommé Brissenden est sans cesse cité au début de l’histoire par la famille Morse. C’était un de leur ami qui, de même que Martin, est issu d’une classe inférieure et est devenu un brillant écrivain. On ne cessera de le comparer à ce personnage pour lui faire comprendre qu’il n’a pas les mêmes capacités, qu’il n’est pas capable. Martin le détestera, lassé d’entendre le même discours. Puis il le rencontrera et ils se comprendront. Brissenden deviendra un grand ami de Martin. Il décèle en lui un talent et lui fait comprendre que la société n’acceptera pas un travail comme le sien. Il est un génie mais incompris, la célébrité ne lui apportera que du malheur. Pour autant, Martin poursuivra son rêve.

Puis, c’est la désillusion. La mort de Brissenden lui ouvre les yeux. C’est seulement pour sa gloire que les gens se préoccupent de lui à présent. Il est pourtant le même avec les mêmes valeurs mais quand il n’avait pas d’argent, on le laissait dans sa misère. La société est cruelle. Il se renferme, arrête d’écrire et refusera de se remettre avec Rose. Le monde est faux et semble ne pas le comprendre. Il n’a pas sa place. Martin trouvera la solution à ces tourments. Il partira en bateau et se laissera tomber à la mer.

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J’ai beaucoup apprécié le ton humoristique qu’a voulu Marilyn Leray pour sa pièce. Le personnage du père de Rose m’a particulièrement fait rire. Se jouant de la bourgeoisie, ce personnage ne cesse de faire des coucous aux spectateurs, des clins d’œil, à quatre pattes en train de sentir son gazon, vaniteux et drôle à la fois. Dans le même ton, il y avait souvent des assiettes de crème que les personnages se prenaient dans la figure lorsqu’il y avait un désaccord. Il pouvait ensuite garder la mousse à raser un long moment sur la figure et continuer la scène. Je n’ai pas trouvé que c’était très utile à la compréhension du texte et en plus, difficile à prendre au sérieux.

J’ai également apprécié la simplicité du décor. Les mêmes éléments du début à la fin, avec quelques accessoires et le tour est joués. Une voix off parlait de temps en temps, on lisait aussi des phrases sur de grands draps (rideaux ?) qui servaient de fond neutre à la pièce. Lors d’une scène où Martin s’était résigné à trouver un travail dans une blanchisserie, il y avait un long fil à linge recouvert de draps. Les écritures ont défilé dessus et un acteur les faisait bouger. J’ai trouvé le concept très visuel et intelligent pour casser un peu les habitudes. À travers ce passage, on y lit une critique du monde du travail. Martin dira qu’un homme qui travaille n’a pas le temps de penser. Il a l’esprit trop occupé par son travail. À ce moment-là, épuisé par le travail, il arrêtera d’apprendre.

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Si je devais donner mon avis pour clôture, je n’ai pas particulièrement aimé la pièce. La portée philosophique et la grande réflexion des messages que véhiculent les personnages est intéressantes, mais j’ai trouvé le temps long. La pièce durait 2h30, l’histoire n’était pas des plus dynamiques j’ai eu du mal à m’y accrocher. Je n’ai pas tout compris à certains passages, les choix scéniques ou l’intérêt de la scène. Comme je l’ai dit au-dessus, à contrario, il y en a des passages que j’ai bien aimé et que j’ai trouvé très intelligent dans la manière dont Marilyn Leray l’a amenée. L’histoire n’est pas passionnante même si les acteurs jouaient bien. Certains gestes répétés ou des actions muettes n’étaient pas claires et plutôt inutiles à mes yeux. Même si la fin est tragique j’ai cependant beaucoup apprécié la manière dont elle a été traitée.

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Par Romane Boutfol

Programmation 2021-2022 du Lieu Unique : https://www.lelieuunique.com/programme/