Dino Risi, un pari réussi
Il était évident pour moi de m’inscrire à une séance de cinéma pour le blog des spectateurs. En effet, j’aime beaucoup le cinéma et je prends plaisir à analyser les films et en discuter. Ne connaissant pas le Cinématographe, je me suis dit que c’était l’occasion pour découvrir ce petit cinéma nantais ! Et quelle bonne découverte !
Le lieu en lui-même est très agréable, tout y est petit mais c’est ça que j’adore ! La salle de visionnage est très belle, avec ses murs en pierres, son balcon et ses rideaux rouges. Les sièges sont confortables, tout comme les prix d’ailleurs. Cela change des grands cinémas qui coûtent un bras dont je ne citerais pas le nom… De plus, le cinéma prend part au dispositif des places en suspens, que je trouve génial. Si l’on veut, on peut payer une place en plus de la sienne, cette place reviendra à quelqu’un qui n’a pas forcément les moyens de s’en payer une. Vive l’accès à la culture !
Très appréciable également ; un dépliant sur le film nous était proposé en billetterie. Complet mais synthétique, il reprend le synopsis, la fiche technique et artistique, mais aussi les propos du réalisateur sur son film et la réception du film en France par le public. Il est très intéressant d’avoir le point de vue d’autres personnes, notamment du réalisateur.
Parlons maintenant du film en lui-même !
Una Vita Difficile est un film réalisé par Dino Risi, emblématique réalisateur italien des années 60. Je ne connaissais pas ce réalisateur, d’ailleurs je ne connais que très peu le cinéma italien, c’est donc en total découverte, à tâtons, que je suis allée voir ce film ! Ce dernier fait partie d’un genre spécifique; la comédie à l’italienne, dérivé cinématographique de la Commedia dell’arte, qui aborde les problèmes de la société italienne avec humour. Le cinématographe propose ses films en version originale sous-titré, ce qui ne peut immerger le spectateur qu’un peu plus dans le film et le sublime pays qu’est l’Italie.
Le film commence in medias res ; le personnage principal, Silvio, interprété par Alberto Sordi, est en train de fuir des soldats allemands: c’est un résistant. Pour se cacher, on lui conseille d’aller se réfugier dans un hôtel. Néanmoins, dès qu’il y arrive, il tombe nez à nez avec un soldat allemand qui l’entend dire qu’il est résistant. C’est sans surprise que le soldat souhaite l’exécuter. Et c’est là qu’apparais le deuxième personnage principal : Elena, jouée par Léa Massari. Fille de la propriétaire de l’hôtel, en voyant toute la scène elle assomme le soldat avec son fer à repasser. Elle décide de guérir Silvio, éreinté par ses missions résistantes, dans le moulin appartenant à sa famille. Silvio et Elena tombe amoureux. C’est ainsi que commence l’histoire, dans une ambiance de conflit et d’amour, parmi les paysages pittoresques du lac de Côme.
Nous suivons alors ces deux personnages sur plusieurs années, le spectateur peut alors observer différents axes essentiels au film ; la relation d’Elena et Silvio, l’histoire de l’Italie, qui sont les principaux, mais aussi les générations, les classes sociales, les relations en général, les rêves…
Elena et Silvio tombent amoureux, et pourtant ils sont si différents, et c’est ce qui va les rapprocher, les éloigner, générer des mouvements dans leur couple mais aussi dans le film. Silvio est un résistant dans l’âme, et même lorsque la guerre se termine, il continu de se battre pour ses idées. Il est journaliste et souhaite écrire un livre. A cause de ses idées de gauche, il est pauvre et vit dans des conditions déplaisantes. Au contraire, Elena souhaite une vie confortable et pour cela, il faut faire des choses qui déplaisent à Silvio, ainsi doucement leur couple va sombrer…
On peut voir à de nombreuses occasions les idées bien arrêtées de Silvio et les conséquences de celles-ci. Ces situations traduisent les changements dans le pays sur différentes points (sociaux, économiques, politiques), une confrontation d’époques amenant une ambiance lourde et conflictuelle, pourtant toujours amenée avec humour par Dino Risi. Le meilleur exemple, je dirais, est le repas chez les royalistes. Au moment du référendum de 1946, les italiens doivent choisir s’ils souhaitent un système monarchique ou démocratique. Elena et Silvio rencontre un vieil ami d’Elena et sont invités à manger chez des fervents partisans du roi et de la monarchie, invitation qu’ils acceptent car ils ont faim et se sont fait rejetés de tous les restaurants du quartier dans la précédente scène. Les deux compères se retrouvent alors à table avec des monarchistes, en train d’attendre les résultats du referendum, quelle scène burlesque lorsqu’on sait qu’ils sont grands partisans de la démocratie !
Le moment clé du film, chamboulant la vie de Silvio, mais aussi d’Elena, se situe lorsque Silvio refuse une importante somme d’argent car cela va contre son éthique. S’en suivra la prison, la pauvreté, et une Elena qui n’en peut plus de cette situation, notamment pour leur jeune fils. Afin de garantir un meilleur avenir à sa famille, Elena force Silvio à reprendre les études en sortant de prison, chose qu’il fait jusqu’au moment de l’examen qu’il loupe volontairement car il n’a jamais vraiment voulu le réussir.
Une de mes scènes préférées arrive peu après ce moment ; Elena et Silvio règlent leurs comptes dans un champ. Après avoir raté son examen, Silvio découche et fait la fête avec des amis. J’ai beaucoup aimé cette scène car ils se disent vraiment les choses, sans détour, et c’est pour le spectateur un moyen de mieux comprendre les différences de l’un et l’autre. Elena reproche à Silvio de ne pas avoir saisi l’occasion de s’enrichir, et Silvio lui reproche d’être rentrée dans le moule d’une société dépourvue de valeurs ; « est-ce plus facile de faire de l’argent en écrivant ou en vendant de l’électroménager sur le dos des pauvres, comme tous les gens ici ? »
Peut-on en vouloir à Elena de vouloir subvenir aux besoins de sa famille ? Et à Silvio de vouloir rester fidèle à lui-même et à ses idées ?
Chaque personnage a ses tords ; Elena a tout de même brulé le livre de Silvio et l’a obligé à étudier contre son gré, mais Silvio met en danger sa famille et se soucis plus de son combat que de son propre fils. Ce que j’aime, c’est qu’ils sont réels et le spectateur peut s’identifier à eux. La confrontation de ces deux personnages amène une réelle réflexion sur le monde des années 60 mais aussi le monde actuel, je trouve que ce film est toujours d’actualité !
J’ai adoré la fin du film. Après quelques temps séparés, on voit Elena et Silvio ensemble à nouveau, et quel a été mon étonnement de voir le couple dans une soirée mondaine, bien habillés, arrivant en voiture de luxe et buvant du champagne. Et je fus encore plus surprise de voir Silvio secrétaire du Commandatore, un homme qui pourtant ressemble à tout ce qu’il détestait. Et quel comble de voir que le prince du début du film, apparu lors du repas chez les royalistes, est présent ! J’ai failli être déçue en voyant que Silvio avait failli à son combat, devenant le larbin d’une société auquel il n’adhérait pourtant pas. Et finalement ; lorsque le Commandatore lui verse une bouteille de champagne sur la tête pour l’avoir « mal servi », c’est trop, Silvio le pousse dans la piscine et s’en va ! Alors qu’on croit qu’il a cédé, Silvio finalement est infaillible; jamais il ne se pliera à cette société superficielle. C’est aussi dans cette scène qu’Elena se rend compte que Silvio a peut-être raison.
Le film est un condensé de parallèles qui enrichissent l’histoire et lui donne de la crédibilité. On compare le nord et le sud de l’Italie, on compare les générations, notamment avec la mère d’Elena, on compare aussi la campagne et la ville, le pendant et après-guerre. Tous ces thèmes secondaires sont tout aussi intéressants, bien que moins exploités.
A part le propos du film, il y a beaucoup de choses réussies à mon goût. Tout d’abord, le réalisateur a le don de nous faire voir des couleurs en noir et blanc. Au fur et à mesure, j’oubliais que le film était en noir et blanc tant c’était bien filmé, et dans des lieux sublimes. J’avais envie de traverser l’écran !
Egalement, j’ai repéré quelques métaphores, et j’aime quand une œuvre en utilise. Il y a par exemple le champagne dont j’ai parlé antérieurement. Versé sur la tête de Silvio par son « boss », il représente le mépris et la richesse de la classe supérieure pour ceux qui sont « en dessous ». Dans la scène dans le champ – dont j’ai aussi parlé plus tôt – un berger et son troupeau de moutons passe après la dispute d’Elena et Silvio, et Silvio est à contre-sens de ce troupeau…comme si le réalisateur avait voulu montrer métaphoriquement que Silvio ne suit pas la majorité des gens.
Je trouve aussi très intelligent les petits parallèles discrets fait entre le début et la fin du film. Il y a par exemple le moulin, qui accueille l’amour naissant d’Elena et Silvio au début de l’histoire et que l’on revoit vers la fin de film lorsque nos deux personnages, séparés, se retrouvent pour l’enterrement de la mère d’Elena. Silvio fait alors remarquer à Elena sa présence, « tu te rappelles ? » – comme si cet élément annonçait leur future remise en couple. Et puis, évidemment, l’action de rentrer à pied, véritable métaphore du combat contre le consumérisme, les voitures, la facilité. Silvio marche, toujours, quand bien même on lui propose de l’emmener. A la fin du film, alors qu’on leur met une voiture à disposition, Elena répond « non merci on va rentrer à pied ». Se rallie-t-elle peut-être finalement à sa cause ?
Pour conclure, vous l’aurez compris je pense, j’ai adoré mon expérience au cinématographe. Le cinéma en lui-même et adorable et abordable, pour sur j’y retournerais ! Une vie difficile est superbe, il y a de l’action, de l’amour, des trahisons, de l’histoire, de la morale, tout ce qu’on aime ! Il y a, par les paroles et actions de Silvio, une véritable critique de l’individualisme et du consumérisme, choses contre lesquelles je tente aussi de me battre personnellement. J’aime aussi le fait qu’il y a beaucoup de références historiques que je n’avais pas, cela m’a permis de faire des recherches et de mieux comprendre l’histoire de l’Italie, et donc du film. De plus, c’est un pays que j’admire depuis petite et une langue extrêmement agréable à entendre. Un bref, un super moment !
Addio a tutti !!!
Mathilde RABREAU