Isadora Duncan de Jérôme Bel, une plongée dans la danse !
Sur la scène de la Soufflerie, que je découvre ce soir-là, un piano sur la gauche et à côté, une femme qui se présente à nous.
Très simplement, Chiara Gallerani nous explique qu’il n’y a pas de programme papier, et que c’est elle qui le remplacera. Elle nous précise que c’est par souci écologique de Jérôme Bel, créateur de cette pièce chorégraphique.
Une entrée en matière originale et décalée, qui fait sourire la salle.
En l’écoutant citer les co-producteurs, je me rends compte que cette incarnation du programme papier n’est pas qu’un geste écologique mais qu’il est aussi artistique.
Le « vivant » de spectacle vivant prend ici tout son sens.
Chiara Gallerani a une attitude de conférencière, en nous racontant Isadora Duncan et certains événements qui ont marqué sa vie intime et professionnelle, d’une manière simple et distanciée.
Puis elle présente en quelques mots la danseuse Elisabeth Schwartz, 71 printemps, et ce qui la lie à Isadora Duncan avant qu’elle n’arrive sur scène.
Elle foule alors ses pieds nus sur la scène tout aussi dénudée, dans un silence religieux.
Gracieuse et tout en voilages, elle commence une première chorégraphie, accompagnée par les douces notes du pianiste Mélaine Dalibert, qui jouera Schubert et Chopin, entre autres.
Puis elle reprend la même courte danse, cette fois en silence, accompagnée seulement des mots de Chiara, qui nous donne le sens de chaque mouvement.
Ces instants dansés sans musique donnent une dimension nouvelle à la danse. Une écoute particulière s’installe dans la salle, on perçoit alors le bruit des pas d’Elisabeth Schwartz sur le sol noir. Et en vous racontant ce détail, je me rappelle le Débandade d’Olivia Grandville, qui nous offre, lui aussi, le silence de la danse.
C’est alors que le spectateur peut saisir l’essence des gestes dansés et capter la petite musique qui émane du corps en mouvement, subtil.
Pour clore ce triptyque, la danseuse reprend la même chorégraphie, avec la musique de nouveau.
Cette décomposition des gestes mis en mots permet aux spectateurs de se connecter plus facilement à son œuvre.
L’intellect et le sensible se côtoient alors, harmonieusement.
Étant très sensible à la danse, mon corps absorbe chaque mouvement. Plus ils s’infusent en moi, plus l’envie de danser se fait forte.
Hasard ou coïncidence, c’est à ce moment-là que Chiara Gallerani invite celles et ceux qui le souhaitent à venir sur scène afin d’apprendre l’une des créations d’Isadora.
Instant suspendu, je suis abasourdie par cette proposition qui m’enchante. Ni une, ni deux, je regarde mon amie et lui lance un : « On y va ?! » spontané.
On se retrouve alors sur la scène de l’Auditorium, en contrebas, avec une dizaine de spectateurs volontaires, et on suit les mouvements d’Elisabeth et Chiara. On les refait plusieurs fois, d’abord avec leur aide, puis sans. Chiara nous explique que l’objectif de la danse d’Isadora n’est pas de bien faire techniquement le geste, mais bien de se laisser emporter par la musique et par les émotions qu’elle nous procure. C’est un joli moment, où l’on danse avec l’autre et pour soi.
La danse se vit, la danse se partage, plus de frontières entre les artistes et le public.
Une joyeuse union où l’on se retrouve plongés au cœur de la création.
Changer de regard sur le spectacle pour avoir, au sens propre, le point de vue des artistes, je ne pouvais rêver mieux pour écrire cette critique.
Anaïs