Chaplin, 1939
Lundi 19 décembre était jouée la pièce “Chaplin, 1939” par la compagnie Hé ! Psst ! au Théâtre de Poche Graslin.
Théâtre de Poche Graslin, un peu avant 21h.
À six jours du quarante-cinquième anniversaire de la mort de Charlie Chaplin, nous étions une trentaine à avoir bravé la pluie en ce 19 décembre 2022 pour venir assister à la pièce Chaplin, 1939 par la compagnie Hé ! Psst !. Certains étaient peut être restés suite au très festif, coloré et vivifiant spectacle de drag queens, Carolina & Ze Queens proposé à 19h cette semaine là, dans une programmation aux antipodes du TPG.
La pièce, écrite et mise en scène par Cliff Paillé, nous propose, à partir d’éléments biographiques et historiques, une vision de ce qu’aurait pu être la gestation du film Le Dictateur, dans l’intimité du processus créatif de Charlie Chaplin en amont des plateaux de tournage.
La coupe de cheveux et une salopette pour dessiner la silhouette, ajoutez à cela des mimiques d’attitude et de faciès, et tada, Romain Arnaud-Kneisky est Chaplin ! Et ce sans surjeu et sans excès, et qu’il incarnera de manière crédible tout au long de la pièce. J’ai aimé que ce Chaplin ne soit pas lisse et, de fait, pas toujours très sympathique, qu’il soit représenté en homme de son époque, avec ses vices, comme en particulier son attrait pour les très (trop) jeunes filles. C’est aussi je pense une bonne manière de montrer les limites, avec nos yeux d’aujourd’hui, à la modernité de son engagement, et de ses idées humanistes.
« Je sais qu’on peut faire des films populaires et intelligents. »
Devant réussir à jongler entre sa parenté de frère et sa position d’agent, le Sydney Chaplin de la pièce gronde un peu mais lui passe ses excès et ses vices. Dans son rôle de garde-fou, il est entendu mais pas toujours écouté au final, et j’ai trouvé que Alexandre Cattez rendait particulièrement bien ce côté rabat-joie terre-à-terre toujours un peu à la limite de se laisser trop entraîner par la malice de son frère.
S’extirpant de ces considérations prosaïques, on nous propose ensuite à l’inverse d’envisager la création de Charlie Chaplin par le « geste ». Où l’expérimentation du corps et les accidents d’improvisations finissent par conduire à l’écriture de certaines scènes cultes du film Le Dictateur. Reconstruites et rejouées, Romain Arnaud-Kneisky est assez fortiche dans l’exercice pour être convaincant de mon avis de spectateur n’ayant certes pas revu le film depuis un certain temps.
« Et quand on sait pas, on ne dit pas, c’est mieux. »
Paulette Goddard, interprétée par Alice Serfati, est présentée avec des velléités de tyrannie et comme parfaitement lucide sur les travers de Chaplin avec lequel elle est en couple. Elle le bouscule, et subit ses piques en retour. Mais elle est aussi dans la pièce celle réussissant le plus à mettre Chaplin face à ses contradictions. J’ai vraiment trouvé bien fait la manière dont elle réussit le toucher avec un contre « effet miroir » de Hitler vers Charlot et du personnage vers l’homme.
Assez inattendu, même si totalement thématique, j’ai aimé le décrochage en mode film muet alors que Paulette raconte sa journée à Charlie, qui n’écoute pas, avec le changement pour un jeu burlesque et les cadres toilés dans le fond du décor devenant l’espace de projection d’intertitre. Une passage permettant à l’expressivité d’Alice Serfati et Romain Arnaud-Kneisky de pleinement s’exprimer.
« Mais je ne crois pas être devenu mon personnage, moi ! »
Sans trop vouloir en dévoiler plus, je reste un peu perplexe sur la projection d’un montage vidéo, mélangeant des extraits des films de Charlot, des images de sa famille et des images d’Hitler. Même si je pense avoir saisi l’intention du bouillonnement dans la tête de Chaplin, j’ai trouvé cela un peu violent et excessif, et le trop d’images virant à la confusion. Heureusement, il s’agissait d’introduire un grand monologue très réussi de Charlie s’adressant à Charlot, où j’ai trouvé que Romain Arnaud-Kneisky brillait vraiment dans sa manière de délivrer le texte, en comparaison des scènes de dialogue où j’ai trouvé son ton un peu en deçà par rapport aux autres acteurs. Probablement, certes, à dessein dans le choix de la mise en scène où son jeu scénique et ses attitudes étaient alors privilégiés pour exprimer sa désinvolture et sa roublardise face à Sydney et Paulette.
Mais ces derniers détails en demi-teinte pour moi, n’ont pas entaché la pièce. Et j’ai beaucoup aimé la manière dont elle explorait le processus créatif de Charlie Chaplin, ses positions et leurs conséquences sur sa vie, sa relation avec son image publique et son personnage de Charlot, tout en n’essayant absolument pas d’idéaliser l’homme derrière l’artiste.
Clément