4 janvier 2022

Ann O’aro

Vendredi 3 décembre, se produisait en concert la chanteuse réunionnaise Ann O’aro au Piano’cktail en programmation croisée avec le Nouveau Pavillon.

Pas de bousculade ce soir au Piano’cktail. Est-ce la pluie venteuse qui en aura découragé certain.e.s ? Pas de placeur pour encourager, non plus, à ce que les gens se massent dans les premiers rangs. Ce n’est certes pas très covid, mais la proximité des réactions du public peut être un plus pour les artistes.

Ces derniers entrent en scène. Les deux musiciens encadrent la chanteuse. La mise en scène est très sobre. Ann O’aro, derrière le pied de son micro, est ancrée au sol au centre de la scène, à sa droite Bino Waro, le percussionniste et à sa gauche Teddy Doris, le tromboniste. La scène est un peu grande pour la place qu’ils occupent cependant l’éclairage arrive bien à gérer le redécoupage de l’espace et ils ne paraissent pas noyés dans l’espace.

Volontairement, depuis la présentation au speed-meeting qui en avait fait mon premier choix, je ne m’étais renseigné en rien sur elle. Aucune recherche d’informations. Aucun morceau jamais écouté. Je n’avais en tête que les  quelques chanteurs réunionnais que je connais (Saodaj’, aussi du maloya, Kaf Malbar, Tipimente ou Sika Rlion). Et les sonorités de sa musique sont vraiment différentes de ce que je pouvais avoir anticipé. L’utilisation de la langue créole réunionnaise et les percussions, peut être grâce à l’ajout d’un cuivre, donnent tout de suite à mon oreille quelque chose de différent. En plus de sa voix que j’aurais associé comme étant probablement orientales.

Quatre chansons s’enchaînent sans s’adresser au public. Les chansons sont belles grâce à sa voix et à l’émotion que Ann dégage, mais l’on manque cruellement d’explications. Je sais bien que l’on n’est pas obligé de comprendre ni les paroles d’une chanson ni sa raison d’être pour l’apprécier, et je suis d’ailleurs dans ce cas, cependant on ressent l’écriture et sa poésie. Il y a comme une frustration chez moi, les quelques passages en français n’offrent qu’un éclairage parcellaire.

Bonsoir

nous lance-t-elle, toute timide et humble, contrastant avec la force et l’assurance de sa voix chantée. Alors qu’elle enchaine pour demander une rectification technique à la régie, avant de reprendre.

Par moment, elle s’écarte de la lumière pour laisser pleine place au dialogue entre ses deux musiciens et leurs instruments. Le trombone est joué avec beaucoup de variations et de subtilités, très sensible. Le percussionniste est lui visiblement et visuellement très habité, parfois comme en transe.

Quelques morceaux plus tard, semblant plus à l’aise à parler, elle nous explique quelques éléments alors qu’elle nous présente ses musiciens. Le tromboniste qui l’accompagne au chant sur des canons et des harmonies a d’ailleurs aussi une belle voix. Elle nous précise alors ne pas vouloir expliquer ses morceaux avant de les interpréter. Cela reste dommage, car malgré l’émotion qu’elle fait passer dans ses chansons, leurs paroles sont difficilement compréhensible pour un métropolitain avec (très) peu de connaissances en langue créole réunionnaise.

Ann finit par se dégager du pied du micro et à pouvoir esquisser quelques pas de danse par moment. Puis reprenant la parole, nous décrit les percussions traditionnelles réunionnaises comme étant composées d’un tonneau, d’une peau, d’une tôle et d’un bambou :

tout ce que vous trouvez quand vous arrivez en bateau.

Elle nos livre enfin plus de contexte sous la forme d’un grand aparté sur le bilinguisme et le sens et la manière de parler des certains sujets dans les deux langues. Si elle écrit en créole et en français, c’est parce qu’il manque des mots en créole réunionnais pour exprimer certaines réalités. D’avoir un mot, les fait exister. Il n’y a par exemple pas de mot pour “inceste” dont elle nous fait comprendre à demi-mot qu’elle a été la victime. Elle explique sa volonté de questionner le viol, l’inceste, le suicide, les violences, etc. Et qu’il y a peu d’abstraction en créole, que c’est une langue du concret.

Elle nous quitte finalement sur un très beau bis, seule en a capella, après nous en avoir conté la trame.

Clément

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