8 février 2022

Ciné-concert « Sayat Nova, La Couleur de la Grenade » au Lieu Unique ou pouvoir simultanément jouir des yeux et des oreilles

Le ciné-concert est un spectacle qui associe la diffusion d’un film et l’exécution de sa musique par un ensemble de musiciens en direct. Le plus souvent nous avons le droit à des films comme E.T de S. Spielberg ou bien Le Seigneurs des Anneaux de P. Jackson, des films populaires avec des musiques très connues jouées par des orchestres symphoniques. Ici, ça sera une expérience tout autre, déjà par le film, mais aussi par la musique. En effet, le film n’est pas une « gros » film américain hollywoodien. Non. Il s’agit d’un film de 1969 du réalisateur arménien Sergueï Paradjanov, Sayat Nova, La Couleur de la Grenade. Et plutôt qu’un orchestre symphonique de 100 musiciens, c’est un trio, composé de Jonathan Seilman, Alice Dourlen et Paul Loiseau que nous avons.

Je me suis rendu à cette séance, le samedi 15 janvier, sans avoir déjà vu le film mais en en ayant déjà entendu parler ici ou là et avec en tête quelques visuels que j’avais déjà vus. J’étais donc très curieux et enthousiaste à mon arrivée au LU de voir enfin ce qui s’apparente à un OFNI (Objet Filmique Non Identifié). On s’installe sur les banquettes, les lumières s’éteignent, les musiciens arrivent, on applaudit, le film commence, et c’est parti !

Vous n’avez probablement pas la même bibliothèque chez vous.
(Sayat Nova – Paradjanov 1968 – Capricci Films)

Et on peut bien parler d’OFNI ici ! Ce film retrace la vie de Sayat Nova, poète arménien du 18ème siècle. Si comme tout « biopic » classique, on évoquera la jeunesse, la vie d’adulte et plus âgé de l’artiste, ce qui différencie ce film de tous les autres est sa forme. En effet, chaque scène du film est le plus souvent un plan fixe, large, quasi muet, avec une mise en scène très théâtrale. Si ce format peut paraître austère, cela est compensé par la composition très riche de ces images qui est chargée en symboles et en métaphores, issus de la culture arménienne ou azerbaïdjanaise, avec surtout des costumes merveilleux ! C’est bien simple : chaque plan est littéralement un tableau qui éblouit nos sens et marque nos rétines à jamais ! Voir ce film, c’est prendre le risque de trouver fades la plupart de nos films contemporains. Oui carrément, pas moins !

Si les métaphores, allégories ou autres symboles nous laissent sur le côté, car nous n’avons pas le bagage culturel pour les comprendre, le pouvoir des images permet très facilement de nous fasciner et de nous emporter pendant les 1h20 du long-métrage, assez unique dans l’histoire du cinéma. Voir ce film sur un grand écran est réellement requis pour admirer la beauté et l’ampleur de cette œuvre. Merci donc au LU pour cette très belle proposition !

Attention : film qui tache !
(Sayat Nova – Paradjanov 1968 – Capricci Films)

Et la musique alors ? Là est la spécificité de ce concert. Car il s’agit ici non pas de rejouer les musiques des films mais bien d’en avoir une nouvelle composition, spécialement créer par les artistes pour ce ciné-concert ! Au lieu de chercher à obtenir des ambiances similaires à la B.O du film, les musiciens sont partis chercher leur inspiration dans leur bagage musical et dans les musiques des années 60/70, année de conception du film. Nous avons donc Jonathan Seilman aux claviers, propre de l’époque, qui propose des ambiances électroniques et planantes, Paul Loiseau aux percussions et Alice Dourlen au chant et « à la brocante » (référence à l’ensemble varié d’instruments de musique en sa possession). Elle fait d’ailleurs l’effort de chanter en ancien arménien les (quelques) paroles issues du film, ce qui un effort assez remarquable puisque cette langue est très différente des langues latines. Il en résulte une musique assez psychédélique, électronique, parfois à la limite du bruitiste, mais qui propose aussi de beaux moments planants ou plus entraînants. Sans avoir vu le film, il est difficile de savoir qu’elle est l’apport de leur composition par rapport à celle originale, qui emprunte plus à la musique traditionnelle et folklorique d’Arménie. Qu’importe finalement. Les musiciens ont trouvé le délicat équilibre entre l’apport de leur composition au film tout en restant suffisamment en retrait pour ne pas s’imposer au film. Et cela est un réel exploit ! Car il faut réussir à hisser la musique à la hauteur des images de l’œuvre et les trois artistes ont réussi le défi haut la main !

Regard magnétique + costume magnifique = plan iconique
(Sayat Nova – Paradjanov 1968 – Capricci Films)

Au final, nous avons eu dans ce ciné-concert à la fois une expérience cinématographique impressionnante, que je recommande à chacun et chacune afin d’élargir ses horizons cinématographiques, et un concert original, dans sa forme et dans son style, qui se complètent et s’équilibrent pour offrir aux spectateurs une nouvelle œuvre merveilleuse et stimulante.

Jean-Rémy

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