14 décembre 2021

Volutes surréalistes au Cinématographe : « Réalité outragée ! Réalité brisée ! Réalité martyrisée ! Mais Réalité, libérée ! »

Le Cinématographe a la bonne idée de nous extirper du réel en nous proposant d’aller plus vite, plus haut et plus fort entre le 9 octobre et le 18 novembre à travers une série de films et de courts-métrages surréalistes.

Le surréalisme, oui. Mais qu’est-ce donc ? Petit rappel rapide : le surréalisme est un mouvement artistique créé en France, aux sorties de la 1ère Guerre Mondiale. Ce mouvement possède même non pas un mais deux manifestes écrits par le même homme, chef de file de ce mouvement, André Breton. On y trouve également Paul Eluard et Louis Aragon pour la littérature, Juan Miró et René Magritte pour la peinture, Man Ray pour la photographie et Luis Buñuel pour le cinéma. Et on reconnaîtra donc que Le Cinématographe n’a pas fait une sélection hasardeuse puisque ces deux derniers artistes sont programmés dans ce cycle !

Commençons par les courts métrages. Quasi centenaires et tous dans le domaine public aujourd’hui (et donc facilement trouvable en ligne), j’ai pu voir 3 films de Man-Ray, projetés en début de cycle, Emak Bakia, L’Etoile de de mer et Le Mystère du Château du dé, ainsi que Le Ballet Mécanique de Fernand Léger La Coquille et le Clergyman de Germaine Dulac. Tant sur Emak Bakia, Le Mystère… que sur Le Ballet Mécanique, on regarde des films sans réelle trame narrative claire. On se laisse porter par les images parfois justes composées de formes mouvantes ou répétés. On regarde, on ne saisit pas le sens ou le but mais on se laisse porter par les idées de mise en scène et de montage. On sent alors une véritable envie d’expérimentation qui cherche à repousser les limites et les formes de cet art, alors jeune et en construction à l’époque. Même si on ne regarderait pas ça tous les jours, il naît en moi une certaine forme d’enthousiasme face à ces œuvres pour leur expérimentation et leur audace qui rendent ces films finalement très vivants et fascinants. La projection de L’Etoile de la mer, inspiré par les images venues en tête de Man Ray lors de la lecture du poème éponyme de Robert Desnos, nous a replongés directement dans le passé en ayant le projecteur 16 mm directement dans la salle, un son que je n’avais finalement jamais entendu dans un cinéma. Si une narration se dessine, les expérimentations sont toujours présentes, notamment par des flous sur l’image comme si celle-ci était filmée à travers un épais carreau imparfait que j’ai trouvé assez beau.

Enfin, La Coquille et le Clergyman s’insère très bien dans ce cycle, premier court-métrage proposant une trame narrative mieux définie, mais totalement muet. Il est rare d’être dans une salle de cinéma parfaitement silencieuse pendant les 40 min de la projection. Il y narre l’histoire d’un clérical épris d’une femme inaccessible et de la domination qu’exerce sur lui un homme. Ce métrage explore les frustrations et les colères de ce religieux. Il est difficile de résumer l’ensemble des évènements qui s’y passent tant ils paraissent difficiles à retransmettre. Malgré son histoire, les scènes bizarres et étranges sont bien présentes. Il n’y a pas de doute : nous sommes bien en terres surréalistes ! A noter, qu’à l’exception de Ballet Mécanique, l’ensemble de ses films inclut la présence de Kiki de Montparnasse, égérie du surréalisme, immortalisée par un célèbre cliché de Man Ray, que vous connaissez probablement.

Les violons d’Ingres par Man Ray, 1924 (source : christies)

Sur les longs métrages vus, je me sens en territoire un peu plus connu. D’abord, le film de Luis Buñuel, Cet obscur objet du désir, dernier film du réalisateur, sorti en 1977. On y suit l’histoire tumultueuse d’un bourgeois empli de désir pour Conchita une jeune femme d’origine espagnole ; désir mis à mal par celui de cette femme, différent, et que cette homme semble incapable de comprendre. Ce film explore donc les liens entre désir et frustration, entre amour et haine. Des thèmes qu’on retrouvait également dans La Coquille et le Clergyman. La particularité de ce film est que le personnage de Conchita est joué par deux actrices interprétant les deux facettes de sa personnalité : froide et distante avec Carole Bouquet et chaleureuse et tragique avec Angela Molina. Les pointes de surréalisme y sont légères, le réalisateur ayant été plus audacieux dans ses précédents films (comme à ses débuts dans Le Chien Andalou coréalisé avec Dali). Même si ce film a plus de 40 ans, ces thématiques restent très d’actualité, ce qui nous permet de facilement suivre ce film.

Pandora est un film à la fois romantique et fantastique d’Albert Lewin de 1951 qui voit James Mason, au côté d’Ava Gardner, jouer le rôle du Hollandais volant, une vieille légende d’un marin immortel déambulant sur les mers à la recherche de l’amour et tombant sous le charme de la sublime et sublimé Ava Gardner. Beauté dont succombera aussi deux autres hommes ! Dans de beaux décors et des couleurs très vives, le film tire plus vers le genre du fantastique qui peut être considéré comme un genre ayant des liens avec le surréalisme. Si l’histoire ne m’a pas emporté et que la forme du film est plus classique, il trouve son intérêt dans ce cycle pour y illustrer comment les expérimentations des précédents courts-métrages, digérées et réadaptées, intègrent des récits plus hollywoodiens. Man Ray y a d’ailleurs contribué en participant à plusieurs éléments du film dont un jeu d’échec et une peinture au style cubiste centrale dans l’histoire. Tout ce recoupe !

Enfin, le dernier film de ma sélection dans ce cycle est le film La Danza de la Realidad réalisé par l’icône de la contre-culture des 70’s, Alejandro Jodorowsky. Film franco-chilien sorti en 2013, le réalisateur y raconte sa jeunesse au Chili au sein d’une famille déracinée d’origine juive. Cette histoire autobiographique est alors ponctuée d’interventions du réalisateur venant lui-même réconforter délicatement son lui jeune dans les moments difficiles. Ici, le réalisme n’intéresse pas Jodorowsky : tant pis si la reconstitution n’est pas historique, tant pis si sa mère parle en chantant comme une cantatrice, tant pis si des personnages étranges et bigarrés viennent et s’en vont ou si d’étranges phénomènes surgissent. Jodorowsky ne cherche pas une reconstitution fidèle, il cherche plus à nous faire ressentir son état d’esprit et à nous extraire de cette pesante réalité qui nous entoure. Le film s’attarde dans une première partie sur sa jeunesse et les différents moments marquants de sa vie, notamment la violence de son père, staliniste convaincu et viriliste, joué par le fils de Jodorowsky qui joue donc son grand-père ! Puis, dans une seconde partie, le film suit le père partant tuer le dictateur du pays pour finalement s’en prendre à l’être qui lui est le plus cher, son cheval ! Cette seconde partie m’a paru un peu longue et moins intéressante, mais est surtout l’occasion pour Jodorowsky d’offrir à son père un parcours de rédemption et de pardon, qui, on imagine, n’a pas eu lieu dans la vraie vie. Le film sait se faire émouvant et offre dans sa forme une bouffée d’oxygène dans un cinéma contemporain parfois assez programmatique ou qui semble sorti d’un même moule. A 84 ans, le réalisateur ne manque pas d’audace et d’idées !

Très différent de ce que j’ai l’habitude de voir, le cycle Volutes surréalistes m’a permis de découvrir ce mouvement dans le cinéma. Si certains longs métrages ne m’ont pas totalement comblé (Pandora ou même dans une moindre mesure La Danza de la Realidad), les courts-métrages ont vraiment été de très bons moments malgré (grâce à ?) leur expérimentation et leur « bizarreries ». Il est bon parfois de sortir de sa zone de confort et de partir explorer des horizons inconnus. Et là on peut dire que j’aurais été servi ! Enfin, finissons sur une citation d’André Breton résumant l’objectif du surréalisme :

« L’idée de surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique. ».

Grâce au Cinématographe, je me sens maintenant (un peu) plus fort pour braver notre réalité !

Jean-Rémy

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