Débandade

Nous sommes le jeudi 25 novembre, il est 20h et le spectacle va commencer. Je me trouve au Lieu Unique et j’assiste pour la première fois à une représentation dans ce cadre singulier, au pied de la tour Lu. Arrivée une demi-heure auparavant, j’ai pu m’asseoir au centre de la salle, ce qui me permet d’avoir une vue d’ensemble sur toute la scène. Lors de mon attente, plusieurs dizaines de personnes attendaient déjà devant la salle, impatients. A présent la salle est comble, il me semble que pas une seule place n’est encore libre. Les spectateurs sont venus en nombre pour découvrir la prestation prometteuse de 7 danseurs, tous venus d’horizons différents. 

Le spectacle auquel nous allons assister s’intitule Débandade. Il a été conçu par Olivia Grandville et est interprété par sept danseurs: Habaib Ben Tanfous, Jordan Deschamps, Enrique Martin Gil, Ludovico Paladini, Matthieu Patarozzi, Matthieu Sinault et Eric Windmi Nebie. 

Lorsque les danseurs apparaissent, il n’y a pas encore de musique. Ils font d’ailleurs une entrée surprenante en arrivant… en slip ! Entrée remarquée qui donne le ton pour la suite du spectacle qui se veut inattendu et drôle. Le décor est très simple, il n’y a aucun accessoire superflu. Cela nous permet de nous concentrer sur les danseurs et ce qu’ils ont à nous dire. Effectivement, un écran est installé au-dessus de la scène et retransmet l’image des danseurs dans les coulisses qui nous racontent les uns après les autres une anecdote, un ressenti qu’ils ont pu avoir face à telle ou telle situation. Il ne s’agit donc pas seulement de danse, car lorsqu’ils prennent la parole le spectacle prend des allures de micro-trottoir et même de comédie musicale à un moment, lorsque l’un des danseurs se met à chanter. La présence de ces différentes formes d’expressions donne un aspect très énergique à la représentation et surprend les spectateurs, conquis par ce mélange inhabituel. Leur danse se veut énergique, par moment même bestial, et l’humour est aussi présent tout au long du spectacle. 

Le nom du spectacle, Débandade, m’avait interpellé au départ, sans que je ne parvienne à en saisir la portée. Après avoir assisté au spectacle, ce terme a pris tout son sens. La débandade c’est le désordre et la fuite, dans ce cas précis je le comprends comme une perturbation dans notre vision des normes de genre. Les danseurs, en nous faisant part de leur histoire, de leurs ressentis, et de leurs visions, questionnent ses normes. Ils s’éloignent des attentes de la société vis à vis des hommes et fuient cette image erronée de l’homme viril. Car non,  tous les hommes ne sont pas grands et musclés, oui un homme peut pleurer, et oui un homme peut faire de la danse sans pour autant être forcément homosexuel. Ces sept danseurs déconstruisent les clichés liés aux hommes et notamment celui des hommes danseurs. 

Selon moi, ce qui crée la richesse de ce spectacle c’est cette pluralité des voix, des ressentis, des origines et des expériences. Je suis témoin, tout comme les autres spectateurs, de l’expression et de la revendication d’une masculinité pluriel, on ne parle plus de LA masculinité mais DES masculinités. Et il en est de même pour les femmes, comme nous le confirme un des danseurs en expliquant que les femmes sont souvent classées par catégories, surtout celle de mère. Il y a d’ailleurs un moment en particulier qui m’a profondément marqué, lorsque l’un des danseurs prend le rôle d’une femme enceinte et explique qu’il espère que le bébé ne sera pas une fille car il sait à quel point être une femme est difficile. J’ai trouvé qu’il y avait une certaine puissance dans ces mots. A la fois ils montrent que les hommes sont conscients que la vie des femmes est loin d’être facile, et en même temps on se rend compte qu’être un homme n’est pas aussi simple que ce que l’on pourrait croire non plus. Eux aussi sont confrontés à certaines injonctions et l’on en parle peu malheureusement. 

En conclusion je dirais que ces sept danseurs se mettent à nus, dans tous les sens du terme, et nous offrent une prestation empreinte de sincérité, de sensibilité et d’humour. J’ai été ravie d’assister à ce spectacle qui nous fait réfléchir sur les stéréotypes de genre et nous montre que cette lutte est universelle et nous concerne tous et toutes. Le monde du spectacle ne représente pas seulement un moment de divertissement, c’est aussi un moyen de faire évoluer les mentalités dans notre société et la réalisatrice ainsi que les danseurs l’ont bien compris.  

Elsa Couton