Le concert Music for Percussion 2 de Ryoji Ikeda interprété à la Soufflerie de Rezé transforme les gestes en rythme, les bruits en musique dans une symphonie pour objets stupéfiante.
Qu’est-ce qui fait musique ? Qu’est-ce qui différencie son, bruit, musique ?
C’est ce qu’interroge le compositeur Ryoji Ikeda avec son œuvre Music for percussion 2 interprétée sur la scène de la Soufflerie à Rezé le 28 avril 2022.
Le travail du compositeur japonais se distingue par l’expérimentation.
À ce propos, Julie Ackermann dans un article des Inrockuptibles écrit :
« Désireux de mettre à jour les mécanismes et enjeux de l’informatisation, Ryoji Ikkeda s’insère au cœur même de ce système complexe, détérritorialisé et automatisé qui traite et transmet les données. Il les détourne et les sculpte à travers des albums d’électro minimal et des installations multimédia et sensorielles. »
Pour autant, le concert donné à la Soufflerie était entièrement acoustique, pas d’écran, pas d’ordinateur, ni de table de mixage, mais des objets.
Ce sont cinq séries d’objets qui défileront sur scène et deviendront les instruments incongrus des musiciens et percussionnistes Alexandre Babel, Stéphane Garin, et Amélie Grould.
La scène s’ouvre avec une table rectangulaire noire, aux extrémités de celle-ci deux musiciens face à face tapotent chacun un manipulateur de télégraphe.
Là où nous avons l’habitude d’être dérangé par ces bips désagréables, les interprètes, percussionnistes, jouent des bips et des clics de souris en rythme jusqu’à en faire symphonie. La performance reprend les codes de la musique classique, les musiciens ont leur partition sous les yeux dont ils tournent les pages au fil du concert.
Je me demande ce qui est écrit sur cette partition sans note.
Est-ce l’enchainement des gestes et des mouvements qui y est annotée pour aboutir à un rythme parfaitement synchronisé ? Est-ce que les « bruits » ont été traduits dans un nouveau langage ? Est-ce que la partition est en morse ?
Les questions sans réponses se bousculent pendant que le concert évolue.
Désormais, trois tables rectangulaires noires sont alignées sur la scène, avec deux métronomes et un minuteur sur chaque table.
Les musiciens s’installent et sans jamais se regarder parviennent à jouer ensemble. Ils varient le tempo de leurs métronomes, l’arrêtent, le reprennent chacun leur tour dans une composition à la précision chirurgicale.
L’économie de son et de geste aiguise l’attention du spectateur qui rentre au fil du spectacle dans une écoute profonde du mouvement.
Ce minimalisme invite le spectateur à être attentif à chaque changement de rythme. L’accélération des métronomes rappelle le son des claquettes en même temps qu’il hypnotise nos oreilles.
Le concert continu, et les métronomes laissent place cette fois aux livres. Un livre à la couverture rigide est posé sur chaque table, c’est le prochain instrument des musiciens.
En rythme, ils tournent les pages, dans un sens, puis un autre, doucement, rapidement, ferme le livre brutalement, l’ouvre, le prenne en main pour le laisser tomber, à la même hauteur, tournent à nouveau les pages en chœur, le font tomber à nouveau sur la table, chacun à une hauteur différente.
De tous ces mouvements, de leur gestuelle minutieusement synchronisée nait la musique.La capacité des musiciens à jouer de ces objets dans un rythme parfaitement synchronisé sans jamais se regarder est impressionnante.
La séquence livre achevée, le public attend avec surprise quel objet sera le prochain terrain de jeu des musiciens. Cette fois, trois bols en métal avec une balle de ping-pong dans chacun d’eux feront la prochaine symphonie improbable. Et les musiciens s’exécutent, toujours avec leur partition devant les yeux.
Par l’épure de sa pièce, Ryoji Ikeda nous rappelle l’essentiel : chaque son est le fruit d’un geste, d’un mouvement précis.
Le concert continu et les musiciens s’emparent désormais de ballons de baskets. Toujours en rythme, ils composent alors une partition faite de bons et de rebonds parfaitement synchronisés. Le son des ballons est plus familier que les objets précédents rappelant celui des tambours.
Le concert s’achève sur une partition pour feuille de papier, crayons de bois et règle. La musique provient du glissement du crayon sur la feuille, chaque mouvement émet un son différent. La vigueur du tracé, le mouvement dessiné font varier rythme et sonorité.
Le son du crayon traçant un cercle sur le papier s’harmonie avec celui qui dessine un rectangle et le troisième musicien de dessiner un triangle. De leurs gestes synchronisés, du claquement de règle, au déchirement du papier à vitesse variable, l’un rapide, l’autre lent, chaque mouvement s’harmonise pour composer une symphonie visuelle et sonore stupéfiante. C’est sur cette dernière pièce que le concert s’achève, après avoir révélé avec magie la recette aussi difficile que fascinante de la création musicale.
Par son minimalisme orchestré, Music for percussion 2 vient bouleverser la perception des sons de notre quotidien. Tel un Marcel Duchamp de la musique, Ryoji Ikeda explose les codes de ce qui fait musique et questionne ainsi notre rapport aux sons, aux bruits du quotidien qui nous entourent.
Rédactrice : Nina Helleboid