Airstream, une œuvre hybride sur la scène du LU
Au tout début est née Airstream, une fiction radiophonique. Elle est ensuite sortie en vinyle, avec de jolies illustrations sur sa jacket et son livret. Une fois transposée sur scène, elle est devenue un spectacle à la croisée de la lecture théâtralisée, de la poésie, du concert et du roman graphique. Si vous ne visualisez pas très bien de quoi il s’agit, c’est normal. Je vous explique tout cela dans ma chronique, continuez votre lecture pour en savoir plus !
Avant même que le spectacle ne commence, nous savons que nous participons à un ovni culturel : l’équipe du Lieu Unique dote chaque spectateur d’un casque audio Bluetooth. Dans la salle obscure, c’est une multitude de têtes casquées, et autant de petites lumières bleues émises par les appareils pour signifier que tout fonctionne correctement. On se croirait dans un film de science fiction.
Pour apprécier la soirée, il vaut mieux garder le casque sur ses oreilles, car le texte entremêle la musique et les tirades jouées en live avec des voix off, bruitages ou autres effets sonores pré-enregistrés. Tous ces éléments qui font partie intégrante de l’expérience seraient parfaitement inaudibles sans le casque ! Ce dispositif déroutant m’a beaucoup plu : on a l’impression que les comédiens nous parlent au creux de l’oreille.
Une autre innovation importante est le dessin en live réalisé par Benjamin Bachelier (l’auteur des illustrations du double-vinyle). Sur sa tablette graphique, il trace des formes et des motifs qui sont projetés en direct sur le décor. Chaque acte permet de découvrir un tableau éphémère et unique.
Les mots, la musique et l’image sont trois langages différents qui se complètent parfaitement pour créer une certaine atmosphère, pour faire ressentir les émotions des personnages, et bien sûr pour construire le récit.
Les chansons comme les illustrations prennent comme point de départ le texte co-écrit par Guillaume Bariou et Sophie Merceron, tout en s’affranchissant d’une certaine liberté. Ainsi, sur le bord de scène, l’auteur-compositeur-interprète Vincent Dupas explique avoir eu comme indications de créer « une musique que feraient des poulpes quand ils rêvent » ou bien « une apocalypse joyeuse »… Des consignes donnant volontairement toute latitude pour permettre à chaque artiste de puiser dans son propre imaginaire, et le résultat est réussi !
Maintenant que vous pouvez visualiser le concept scénique, qu’en est-il du contenu ? S’inspirant de l’univers des romans américains, la pièce nous emmène dans les grands espaces de l’Ouest, où s’est retiré Saùl. Seul humain à des kilomètres à la ronde, cet être misanthrope ne communique plus qu’en parlant à Nebraska son iguane et en répondant aux bribes de parole diffusées par une vieille radio.
Saùl a passé un pacte avec le réel. Il s’est inventé une normalité, en quelque sorte. Un quotidien qui le garde encore du côté des humains. Il se lève avec le soleil, chaque matin. Sauf le samedi. Va chasser. Un peu. Pour nourrir Nebraska, surtout. Coupe du bois. Un peu. Parle avec les animaux sauvages qui lui rendent visite. Un peu. Se saoule pour dormir. De plus en plus.
Et surtout, écoute la radio. Le bruit du monde. Et toujours à la même heure, en soirée, il passe sur les ondes courtes. C’est là qu’il les entend parfois. Des voix. Comme des fantômes. Des âmes errantes. Qui errent dans les ondes. Des voix de son passé. Des voix aimées. Qui se refusent à passer tout à fait du côté des défunts.
Cette tirade reflète bien le reste de la pièce : une narration importante et des descriptions fouillées, ce qui est peu commun dans l’univers du théâtre. Le travail sur les mots et les rythmes fait penser à un long poème en prose.
Le long monologue de Saùl permet de découvrir le cheminement mental d’un individu en perdition, mais aussi d’écouter les démons qui le hantent et les petites voix qui le guident : « Je vois ce vide. J’entends ce silence. Est-ce que j’ai bien fait de me perdre ici ? ». Rejet de la société, abandon, solitude, deuil, déchéance sont autant de thèmes abordés avec ce personnage cabossé.
Si j’ai rapidement adhéré au concept artistique d’Airstream (live), je dois cependant préciser que l’ambiance mélancolique et le minimalisme extrême de la mise en scène ont fini par me peser. La pièce dure 1h10, mais j’ai eu l’impression qu’elle s’éternisait. La noirceur du propos comme la position statique des artistes et le rythme lent du texte destinent ce spectacle à des personnes initiées.
De plus, j’ai été perdue à plusieurs reprises car certains personnages, certains sujets, sont évoqués puis abandonnés, sans que cela ne serve le récit. J’ai eu cette sensation désagréable d’entendre les didascalies ou les notes de l’auteur qui menaient dans des chemins de traverse sans réussir à revenir à l’intrigue principale.
Grâce au bord de scène, j’ai découvert que ce projet artistique s’intègre dans un ensemble plus large. Airstream (live) est en quelque sorte le spin off de la pièce Des balles qui se perdent, jouée au Lieu Unique en 2020.
Une troisième saison devrait d’ailleurs voir le jour avec le spectacle Nebraska (qui permettra peut-être de retrouver le fameux iguane ?). Si vous souhaitez donc découvrir cet ovni culturel et si vous avez raté les représentations de janvier 2023 au LU, rien n’est perdu ! Vous pourrez toujours raccroché les wagons l’an prochain. En attendant, le double-vinyle est disponible à la vente et permet de s’immerger dans l’univers de Saùl et de sa communauté…
Maurane Violet pour l’Atelier des initiatives
Airstream (live) avec Benjamin Bachelier, Guillaume Bariou, Vincent Dupas, Sophie Merceron et les voix de Sandra Abouav, Soriba Dabo, Solenn Jarniou, Françoise Milet
Le Lieu Unique