3 novembre 2021

Retour sur : À l’origine fut la vitesse – Le testament de Sov Strochnis

Une critique subjective après la première de l’adaptation de La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, réalisée par Philippe Gordiani et Nicolas Boudier.

Affiche du spectacle « À l’origine fut la vitesse – Le testament de Sov Strochnis », Lieu Unique, Nantes.

Contexte de l’expérience

Un soir, alors que vous prenez du temps pour vous à Nantes, vous vous rendez au Lieu Unique, seuls, ou avec des amis, pour aller découvrir une expérience inédite. Vous êtes accueillis chaleureusement par une équipe du projet et de la salle, enthousiaste à l’idée de vous montrer leur production pour la première fois. On vous conduit dans une salle remplie de sièges au dessus desquels sont suspendus des masques, eux-mêmes équipés d’un système sonore de conduction osseuse. Un tutoriel clair vous explique comment vous équiper, et vous vous plongez dans une adaptation de la Horde du Contrevent d’Alain Damasio… un petit peu particulière. Qu’a-t-elle de si particulier ? Il faut y assister pour se forger son propre avis, puisque la sensibilité de chacun est un facteur qui influe grandement sur l’impression ressentie. La suite de cette article pourra toutefois vous transmettre l’expérience d’une jeune personne, familiarisée avec la musique, mais aussi avec le fondement de la réalité virtuelle et de l’immersion, sans toutefois avoir lu l’œuvre originale dont il est question.

Résumé de ma première impression

Cette expérience est si singulière que je ne peux vous en parler qu’à la première personne. Pour avoir discuté avec d’autres spectateurs à la sortie, je ne saurais faire une généralisation synthétique de toutes les émotions que le spectacle a pu susciter à chacun, tellement elles étaient variées. Cette précision faite, je peux à présent vous raconter mon expérience.

La séance commence après une attente assez étrange. Une voix enregistrée explique à notre groupe de 44 spectateurs comment s’équiper des masques et des écouteurs à conduction osseuse. J’apprends dans le feu de l’action qu’il ne s’agit pas de casques de réalité virtuelle, mais de masques à poser sur les yeux, tels des lunettes à filtre presque opaque, réagissant aux effets lumineux générés dans la salle. Des formes, des motifs et des nuances de lumières colorées apparaissent sur l’écran, pour retransmettre visuellement au spectateur les perceptions ressenties à l’écoute des sons et des musiques. Au début, je crois réellement qu’il y a un problème avec mon casque, puisque je suis stupéfait d’assister à quelque chose comme ça. J’ai tendance à avoir très peu confiance en la technologie, et je suis psychologiquement rarement enthousiaste à l’idée de me plaquer un écran à 2 centimètres des yeux. Tout cela ne m’aide finalement pas à me rassurer, et encore moins à m’ouvrir à un format de spectacle que je n’ai jamais vu.

Encore très surpris et déçu de ne pas avoir d’image « classique », j’essaie de me concentrer sur la voix du narrateur qui résonne dans ma tête. Mais ce masque, dont j’ai encore du mal à comprendre l’intérêt, me distrait beaucoup trop. Je reste pendant longtemps dans l’incertitude, sans la conviction que tout fonctionne correctement, et je ne capte aucune réaction des autres spectateurs, puisque nous sommes tous immergés dans notre propre monde. J’essaie alors d’accepter la nouveauté, de me persuader que tout est normal, afin de profiter du spectacle et de ne pas rester sur ma déception. Mais je commence à avoir mal aux yeux. Je suis à la fois anxieux et frustré à l’idée d’avoir un masque qui me force à contracter mes pupilles en permanence, pour au final n’avoir qu’un vague écran coloré censé illustrer l’environnement sonore. Je préfère même à certains moment fermer les yeux, pour essayer de me concentrer sur la voix qui me parle et oublier ce mauvais départ. Mais, trop perturbé, je ne réussis malheureusement pas à m’ouvrir à ce format, à l’accueillir avec curiosité comme j’aurais aimé le faire pour apprécier le spectacle, si seulement je n’avais pas abordé la séance avec les aprioris qu’étaient les miens.

Je pense que l’originalité de la stimulation visuelle n’est pas le seul facteur influant sur ma concentration. Lors de la séance, je ne suis pas non plus prêt à ce que ce soit tout du long un récit narré par une voix off. Je me rend compte qu’en fait, ce spectacle est bien loin d’un film. Il s’agit plutôt d’un livre audio augmenté. En particulier, le style de la narration n’est pas théâtral. C’est un style écrit. Le narrateur prononce en l’occurrence des lignes dignes d’un roman courant, ce qui demande au spectateur d’avoir une écoute bien plus attentive que lors d’un film, puisque les termes et formules employés sont bien plus riches et soutenus que dans un langage oral.

Je comprends alors que c’est bien sûr l’environnement sonore qui est au cœur du spectacle. L’immersion est grandement appuyée par la technologie de raisonnement du son par vibration osseuse. Des écouteurs spéciaux, plaqués contre les tempes, font vibrer l’oreille médium, ce qui donne l’impression d’entendre les pensées du narrateur dans notre propre tête. Mais comme il s’agit de pensées, je trouve ça dommage qu’il s’agisse d’un style de récit écrit, et non d’un récit qui se veuille naturel, comme si on était réellement dans la tête d’une personne. Je ne suis pas du tout hostile au style écrit, et je lis quelques romans, mais je ne trouve pas judicieux de faire ce choix pour une narration audio de 1h15. Je décroche de très nombreuses fois malgré moi au cours de la séance, si bien que j’ai à peine pu suivre l’histoire. J’ai toutefois était très content à un moment particulier, lorsque j’ai senti le comédien sortir de son ton narratif pour prendre un ton plus naturel et se mettre à crier ses émotions.

Enfin, la musique donne une dimension imaginaire et se couple avec l’image renvoyée sur l’écran. Elle aborde un style électro assez peu naturel, mais qui pour moi, traduit de manière assez originale la métaphore de l’environnement apocalyptique sous la tempête. Seulement, certains sons semblables à des bourdonnements peuvent paraître désagréables par moment, car trop longs. Dans l’ensemble, la qualité du rendu sonore est cela dit tout à fait satisfaisante, d’autant plus que la technique de conduction osseuse donne une immersion très travaillée, le tout accompagné de baffles dans la salle pouvant donner une puissance très prenante dans les moments intenses.

Mon avis sur le spectacle

Après le spectacle, j’ai eu la chance de pouvoir discuter avec l’équipe de la réalisation et les autres spectateurs. Heureusement, leurs retours semblaient plus positifs que le mien. Certains ont pu apprécier les métaphores visuelles que je n’ai pas su supporter. Rétrospectivement, je me suis bien rendu compte que je n’étais pas mentalement préparé à assister à ce spectacle.

Je pense donc que la représentation aurait mérité plus de préparation mentale, pour éviter que les spectateurs n’aient de mauvaises surprises qui les empêchent de s’immerger dans la fiction. De surcroît, une prévention sur le format faite par un humain, et non par le robot du tutoriel, serait, je pense, bien mieux reçue. En effet, cela permettrait aux spectateurs d’être préparés et de ne pas tout remettre en question dès les premières secondes, face à l’étrangeté qu’ils ont devant les yeux au premier abord.

De plus, je suis aussi d’avis que ce genre de représentation est très difficile à mettre en place la première fois. Le travail réalisé auditivement était remarquable. Je reste néanmoins un spectateur jeune, qui, non seulement n’a pas lu l’œuvre originale, mais qui en plus n’appréhende pas la nouveauté de la même manière qu’une personne d’expérience qui aurait déjà vu des centaines de formats différents, et qui se serait émerveillée de découvrir celui-ci. Je pense qu’il faut du temps et de la maturité pour que ce format soit apprécié. C’est comme lorsque l’on voit un film d’auteur pour la première fois, étant enfant : on ne comprend pas, on trouve le rythme lent et ennuyeux, mais on finit par apprécier lorsqu’on apprend à écouter ce que le réalisateur souhaite transmettre à travers son film.

Je profite de ces dernières lignes pour placer quelques dernières remarques techniques. Il est nécessaire de rappeler que dans l’immersion, pour une personne en bonne santé, le sens de la vue joue un rôle bien plus important dans nos stimulations que celui de l’ouïe. Miser donc sur l’immersion auditive en se contentant d’une immersion assez secondaire au niveau des yeux est donc un paris risqué. Pour preuve, cela n’a pas fonctionné avec moi. Je ne souhaite pas enterrer trop vite cette idée néanmoins, puisqu’elle est fort intéressante. J’ai toutefois préféré fermer les yeux pendant la séance. Je me sentais alors coupable de refuser de regarder le spectacle tel qu’il était. Si donc permettre la possibilité de fermer les paupières étaient une chose voulue par les metteurs en scène, peut-être serait-il judicieux de le préciser. On a ainsi plus l’impression d’écouter une série ou un livre audio, tout en ressentant les changements de luminosité effleurer sa paupière, ce qui n’est pas désagréable.

Malgré toutes mes critiques négatives, qui se veulent constructives, je salue le travail de l’ensemble des personnes qui ont participé au projet, aux performances des interprètes et également l’originalité du système mis en place pour interpréter de manière jamais vue l’œuvre d’Alain Damasio.

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